Se
lancer un défi pour une chose qu'on aime, cela rend plus facile la
tâche même s'il s'agit de skier durant 24 heures non stop en
individuel ! Car après tout, c'est dans la tête que ça se passe, ne
serait-ce bien longtemps avant l'échéance, pour relativiser la
situation...
Tout
cela pour dire qu'on est dans un monde où tout va vite et que
finalement, 1 jour ou 24 heures ou 1440 minutes ou 86400 secondes,
ce n'est pas si long que ça ; il n'y a qu'à penser à là où on était
il y a tout juste 24h pour se rendre compte qu'on a peut-être même
pas eu le temps de faire tout ce qu'on voulait !
Partant de ce principe, il n'y a pas lieu de penser que cette course
que je me suis infligé va donc durer une éternité ! Et puis, après
l'avoir déjà faite à 4 reprises en équipe de 3 et 2 fois en équipe
de 8, la liberté du choix (de 1 à 10 coureurs par équipe) m'a incité
à l'aborder cette année tout seul comme 28 l'ont déjà fait depuis sa
création en 2013 (après cette 7e édition, on est désormais 38, avec
4 coureurs ayant participé au moins à 2 reprises).
Venons-en au principal, au déroulement de cette balade un peu
particulière. J'ai choisi volontairement le mot balade pour m'ôter
toute pression comme cela m'arrive parfois lors des longues
distances sur le circuit national. Et à ce sujet, fort de mon podium
au classement général du Marathon Ski Tour (3e en Masters
4+5) concrétisé quelques jours plus tôt au terme du Marathon des
Glières, j'arrivais aux Mosses vraiment décontracté, sans la
nécessité d'essayer ses skis, de s'échauffer, tout le rituel
habituel d'avant course.
Mais
je ne peux pas dire que je prenais le départ de cette 7e édition
dans les meilleures conditions de fraîcheur, si on considère mes
participations à 3 longues distances les dimanches précédents
(Massacre, Savoyarde et Glières) ajouter à deux mauvaises nuits dans
la semaine en raison de la pleine lune, les baillements répétés sur
le trajet en voiture me laissaient un peu perplexe mais pas
pessimiste pour autant, loin s'en faut !
Me
voilà à 10h30 samedi arrivé sur place, le temps de saluer les
copains copines du club engagés dans deux équipes (6 hommes et 10
femmes), de récupérer mon dossier de coureur, de me me préparer en
tenue sans oublier d'épingler le dossard et de fixer la puce aux
deux chevilles, de manger un sandwich au jambon minutieusement
préparé à la maison et d'aller aussi encourager les jeunes Dragons
en piste sur la Mini Ski-24 (finissant 2e sur 40 équipes classées) !
11h45, il est temps de se placer sur la ligne et d'attendre
sagement le starter donné à midi pile.
Autour de moi, des skieurs de fond déguisés dont un spécimen revêtu
uniquement d'un caleçon de bain, aussi
quelques sympatiques fondeuses en shorty ! C'est chaud sexy tout ça,
le soleil commence à bien taper, bref la température monte ! Le
public est aussi présent en nombre pour encourager la petite
centaine de coureurs prêts à en découdre pour un tour pour certains
ou davantage pour d'autres !
Me
voilà élancé et rapidement je constate que la piste est déjà bien
dégradée. Certes, l'enneigement est plus que satisfaisant avec
encore au moins 70 cm de neige (le domaine nordique des Mosses est
situé autour de 1500 m d'altitude) mais les températures plus que
printanières transforment inéluctablement la neige, en tout cas dans
les portions exposées au sud, soit sur les trois quarts de la boucle
de 4 km. Je me fais vite une raison comme quoi il va falloir soigner
encore plus sa technique avec des appuis très légers pour éviter de
se griller trop tôt ! Alors que les jeunes Dragons m'encouragent à
leur tour, bien placés dans la zone de vie (départ/arrivée/passage
des relais), le speaker en profite également pour saluer
pratiquement à chaque bouclage plus particulièrement les
coureurs engagés en solo dont je fais partie. Cela fait plaisir et
permet de se relancer pour une boucle supplémentaire.
Concernant cette boucle de 4 km avec 70 m de dénivelé positif, il
n'y a aucun sentiment de tourner en rond comme on pourrait le croire
: le parcours ponctué de montées, de dévers, de descentes dont
certaines avec des épingles et de quelques parties plates
heureusement bien sûr, ressemble à tout sauf à un circuit monotone !
A 17h30, il est temps de prendre un petit quart d'heure de
pause pour se ravitailler.
Charles, le responsable du parcours me laisse le privilège
d'inaugurer ensuite lors de ma reprise, la piste parallèle
fraîchement damée (il y a en fait 2 boucles de 4 km qui sont
utilisées en alternance toutes les 6h environ, ce qui permet aux
coureurs de profiter d'une piste en bon état, l'autre qui n'est plus
utilisée étant ensuite retravaillée et ainsi de suite). A mon
bouclage qui suivit, je lui fais un signe de la main, exprimant que
c'était un vrai régal, rien à voir au niveau glisse par rapport à
ce qu'on a connu au préalable. Il faut dire qu'avec la baisse du
thermomètre, la neige avait bien retendu et commençait à durcir. De
quoi skier en prenant plus de vitesse en descente et en se fatigant
beaucoup moins dans les faux plats montants. Il y a juste la
"Mordenbacken" (raidillon d'environ 50 m jusqu'à 25% de déclivité)
qui brasse toujours un peu ! Mais bon, comme pour les véhicules
lents sur autoroute, il suffit de serrer à droite pour laisser
passer les plus rapides tel le champion Suisse Erwan Kaeser ! Et
arrivé au sommet, le retour en descente n'est que récompense. 1
8h45, la nuit tombe, il est temps d'aller se restaurer dans le
chalet nordique (une bonne assiette de riz avec émincé de poulet) et
de s'équiper ensuite de la lampe frontale. A 19h30, une autre course
commence. Avec la nuit, les repères sont différents mais le rythme
est toujours là et la piste tient toujours voire même a tendance
à lustrer par endroits notamment dans les virages serrés. Il faut
être vigilant afin d'éviter d'être éjecté vers l'extérieur, ce qui
m'est arrivé une fois, à vouloir faire le malin en prenant le
meilleur sur un autre concurrent ! Aussitôt relevé aussitôt reparti
pour continuer d'enchaîner les tours. Avec l'idée d'en effectuer 60
(soit 240 km), je me disais qu'il était bien de pouvoir déjà en
faire un peu plus de 30 à minuit. Ce qui était le cas et à 2h, où je
décidais
de prendre une nouvelle pause, j'en étais à 40.
Sous
la tente des Dragons, je voyais la rotation des équipes entre ceux
qui allaient se coucher et ceux qui en revenaient. Quant à moi,
après un bon petit sandwich au fromage de chèvre avec du tofu,
c'était retour sur la piste... pas de danse mais de ski 30mn après
(la Ski-24, c'est aussi des animations avec entre autres une soirée
dancing à l'intérieur de l'espace nordique). Je m'étais dit ensuite
que ce serait pas mal d'arriver à boucler 50 tours juste avant le
p'tit-déj aux alentours de 7h pour pouvoir ensuite aborder la
dernière partie avec plus que 10 tours à réaliser.
La
musique diffusée depuis le bar des neiges situé à mi-parcours
faisait du bien à ce moment-là avec de bons morceaux notamment de
Pink Floyd, Queen, Men at Work... La pleine lune et les étoiles
venaient compléter ce tableau magique d'un skieur de fond glissant à
4h du mat' quelque part sur les hauteurs du canton de Vaud !
Les
aiguillent continuent de tourner, moi aussi avec 51 tours juste
avant d'aller au breakfast. Un moment attendu car je sais,
comme les autres années, que le buffet est copieux. Je me sers donc
sur un grand plateau du porridge, des céréales, du pain avec miel,
beurre et confiture, du fromage, de la viande des Grisons, du
pâté-croûte, un oeuf, une compote et un café (le premier du reste
!). Je vais rejoindre mon pote Guillaume participant lui aussi en
solo, qui a difficilement supporté la nuit quasi blanche qu'il a
passé et comme lui, je n'arrive pas à avaler quoi que ce soit ni
même boire le café... Mince alors !
Si
bien que je repars presque sans rien avoir mangé, en passant par la
tente poser la frontale et changer de paire de ski. Me voilà reparti
pour 9 tours qui me paraîtront interminables. A chaque boucle,
il devenait impératif de bien s'hydrater, de manger des morceaux de
banane et de petites tranches de pain d'épices mis à disposition au
stand de ravitaillement. Là, ça passait, je pouvais
avaler, ouf sinon je pouvais craindre le coup de fringale. Je savais
que l'objectif était jouable mais j'évoluais au ralenti et la
moindre montée devenait pas un calvaire mais presque !
Heureusement, il y avait des coureurs en équipe qui me boostaient en
me dépassant (j'en doublais tout de même encore quelques uns,
j'avoue !). A ce moment-là, j'ai mis le mode mental en service,
histoire de faire abstraction à une certaine fatigue qui me gagnait
tout le corps et en pensant à tout autre chose. Et ça a
marché, comme quoi il est possible de se surpasser, d'aller au-delà
d'un certain confort, non pas pour souffrir mais pour se donner du
courage, de la bravoure.
Il
suffit d'un peu de volonté et la force d'y croire pour atteindre ses
objectifs. Juste avant 11h30 après avoir accompli mon 60e tour, on
me renseigne que les 3 poursuivants sont entre 3 et 4 tours derrière
moi ; autrement dit, impossible pour eux en 30mn de me passer
devant.
Alors, j'aurais pu faire 1 tour supplémentaire (j'avais même la
possibilité d'en effectuer 2 si je passais la ligne après le 61e
tour avant 11h59mn59s) mais je préférais en rester là, satisfait de
l'exercice accompli ! Ma 7e Ski-24 restera longtemps dans ma
mémoire. C'était la balade d'un skieur de fond heureux !