Ici, encore plus
qu'au Canada
(deux
expéditions en
1988 et 1993) on
ne se joue pas
des distances
aisément. Cette
région de
Sibérie, très à
l'est, s'appelle
la Yakutie ou
encore la
république de
Sakha. Le
superficie
couvre un
territoire grand
comme sept fois
la France et
n'abrite que 950
000 habitants,
essentiellement
des Yakuts
(seuls 4 % sont
des russes
blancs issus de
l'immigration).
Une autre particularité de cette région est d'être placé sous un climat très rude qui engendre des glaciers à basse altitude, des cours d'eau très nombreux et la présence du permafrost (Sol gelé en profondeur). Ici, donc, ni sol, ni humus, les arbres poussent dans le sable.
Je tiens à dire avant toute chose que cette relation peut paraître incomplète à certain, mais à ma décharge je n'ai pas visité toute la Yakutie.
Les formalités d'obtention du visa ne sont rien en comparaison des difficultés sur place pour visiter quelque chose, pour obtenir un renseignement où encore pour effectuer un déplacement. Mais ici, considérant les distances, pas question d'aller bien loin, vu la rareté des routes et leur état.
C'est donc tout naturellement par l'eau que Cécile et moi, avons traversé ces paysages et nous sommes immerger dans cette nature primaire.
Après
une semaine
passée sur une
rivière avec un
groupe de Yakuts,
nous avons pu
prendre la
température et
mesurer les
réels besoins
que nécessite
une descente de
rivière dans un
tel
environnement.
Il faut aussi
compter avec les
ours, les loups,
les élans et
toute cette
richesse qui
nous entoure,
sans oublier les
nombreux et
différents
poissons qui
permettent une
pêche à chaque
fois réussie
(notre guide a
péché un brochet
de 1m20).
De retour à la ville, après avoir descendu une partie de la Buotama, il nous restait à effectuer quelques achats et trouver un véhicule susceptible de nous emmener au départ de notre périple.
Par une piste large et après un peu moins de 200 km nous roulons en direction du village de Yebe.
La voiture
s'arrête près
d'un bois, pas
moyen de
continuer plus
loin. Nous
poursuivons à
pied jusqu'à la
rivière, portant
nos 45 kg de
matériel pour 15
jours. A 19 h
nous arrivons
sur une plage de
sable au bord de
la rivière
Matta. Un petit
cours d'eau de 4
à 10 m de large.
Nous gonflons
notre kayak et
parvenons à y
faire tenir nos
deux sacs
étanches et
notre sac à
provisions.
Pendant les deux heures de navigation qui suivirent, il nous fallut effectuer deux portages en raison d'un encombrement de la rivière par des troncs enchevêtrés en tout sens, quelque chose qui s'apparente à un mikado géant avec de vrais arbres. Au printemps le niveau d'eau est 4 m plus haut. Nous n'osons pas imaginer quel extraordinaire spectacle cela doit être. Nous touchons du doigt les grandes débâcles printanières. A chaque portage nous portons tout le matériel en 2 ou 3 aller – retour un peu fatigants ! Il nous faut bien du temps pour ne parcourir que 200 m. Les arbres sont en travers de notre progression, le kayak est alourdi par l'eau et il n'y a pas franchement de chemin...
A chaque fois nous repartons en espérant ne plus avoir à faire ce genre de manœuvre couteuse en énergie...
En résumé la Matta est une rivière tranquille où les troncs d'arbre en travers, puis les nombreux et sournois bancs de sable nous ont demandé bien des forces. Le poisson y est en abondance, tout comme le bois. J'ai aimé ce profil sinueux, imprévisible et étroit qui traverse une belle et typique forêt sibérienne.
Après
quatre jours de
navigation sans
âme qui vive
(juste un élan
et de nombreux
canards) nous
débouchons enfin
dans la rivière
Sinyaya, dite la
majestueuse.
C'est un cours
d'eau beaucoup
plus important
avec des rapides
plus fréquents
mais pas
dangereux et
surtout un
cheminement dans
des dépôts
sédimentaire du
Cambrien. Cela
provoque
l'émergence de
tours de 70 à
130 m de haut
tout au long des
méandres qui
agrémentent ce
parcours de 140
km.
Le temps a fraichi un peu, nous arrivons à la mi-août et le dernier « coup de froid » nous a permis de progresser sans la nuisance provoquée par les différents diptère. Le paysage est changeant en permanence, mais les journées se ressemblent au niveau de l'organisation. Trois feux par jour, au moment des repas, pour cuisiner, éloigner les moustiques et nous sécher sont facilement constitués, au vue de la quantité de bois répandue sur toutes les berges.
Après trois jours de navigation, nous rencontrons un ranger chargé de contrôler notre permis de pénétrer dans ce parc national. Nous avions prévu 8 jours et en sommes au septième. Tout est en règle, il nous enjoint juste d'être sorti du parc, à la fin de la rivière, 40 km plus en aval. Nous lui faisons cette promesse et après un échange très sympa il nous fait visiter son domaine et nous apporte même de la confiture d'airelle et du pain au petit déjeuner du lendemain matin.
Cette rivière
est réellement
un enchantement.
Lorsque les
bassins
deviennent trop
longs et que les
bras commencent
à fatiguer,
des rapides se
dessinent et le
kayak prend
immédiatement
plus de vitesse
pour notre plus
grand plaisir.
Les tours qui la
jalonnent
prennent des
formes
étrangement
familières,
parfois c'est un
ours, parfois
deux personnes
qui s'embrassent
ou encore des
silhouettes
sorties de
l'imagination
d'un sculpteur.
Nous avons une
carte, seulement
pour cette
rivière, et ne
cessons donc de
la regarder pour
mesurer notre
progression. Que
de virages !
Sachant que la
vitesse est plus
importante à
l'extérieur des
courbes et que
la distance du
coup y est plus
grandes, les
choix sont
parfois
cornéliens.
Mais, le plus
souvent, cela
passe bien.
Au terme de notre huitième journée nous arrivons, comme prévu, au village de Sinsk, à la confluence entre la Sinyaya et le fleuve Léna. Il est tard et nous montons la tente sur une rive assez haute, éprouvant pour la première fois la peur que quelqu'un s'en prenne à notre embarcation ! Inutilement d'ailleurs car le lendemain nous constatons que rien n'a bougé. En cheminant dans Sinsk pour faire deux ou trois achats nous prenons conscience que c'est dimanche et que les magasins sont tous fermés. Après une heureuse rencontre, on nous promet d'ouvrir un magasin à 13 h. Nous patientons et effectivement, à l'heure convenue, nous voyons arriver un homme à la mine patibulaire qui se propose de nous servir. Il nous faut surtout du pain et comme la livraison n'est pas faite ce jour là, nous compensons par des biscuits secs pour le petit déjeuner. Avec quelques vivres de plus nous repartons donc sur notre kayak pour naviguer sur l'immense Léna.
Ce
fleuve, long de
4400 km, nous
effrayait un peu
au départ, mais
forts de ces
quelques jours
de navigation
sur des rivières
plus modestes
nous nous
sentons
rapidement
pouvoir faire
corps avec cet
immense serpent
qui lézarde la
Sibérie
orientale. Du
sable, encore du
sable et tout le
temps du sable,
la boite de
beurre a une
fâcheuse
tendance à
aimanter tous
les grains de
sable qui
passent non loin
d'elle !
Rapidement, en cheminant d'ile en iscle et de d'iscle en rives nous parvenons aux fameuses « Lena Pillars », ces tours (comme sur la Sinyaya) qui jalonnent la rive sud. En 2012 ces formations géologiques furent classées au patrimoine mondiale de l'UNESCO. Cette information nous est donnée sur la berge dans un camp où sont aménagés de longs et parfois raides escaliers qui nous permettent d'atteindre le sommet d'une de ces tours. La vue est saisissante et nous percevons l'insignifiance de notre présence sur l'eau à la surface de ce géant (jusqu'à 32 km de large) qui veut bien nous accueillir !
Ici encore ce sont les saules que nous rencontrons sur les premiers mètres de dénivellation de la berge et ensuite le mélèze et le pin prédomine, portants parfois la marque de vastes incendies qu'ici rien n'arrête à part les rivières larges. La pêche est ici aussi bonne que précédemment. Mais n'ayant plus de vers il me faut attraper des sauterelles, ce qui me prend généralement plus de temps que d'attraper 2 poissons car l'herbe est rare.
Il nous est arrivé d'avoir un fort vent d'est le matin, avec des creux bien marqués, puis le calme plat à midi et enfin un vent d'ouest favorable l'après midi. C'est alors que je façonnais rapidement une voile avec la cape de pluie et la progression s'en trouvait accélérée. Le but n'était pas d'aller vite mais de profiter de ce qui se présentait pour traverser cet environnement rude. Le vent fait partie de ces éléments parfois bienveillants, parfois hostiles.
Epilogue
Au terme de notre périple de 14 jours nous avons parcouru 380 km de rivières et de fleuve, senti, ce que l’œil ne peut voir et vibré tous les sens en alerte pour ressentir l'immensité, la beauté et surtout la liberté.
Un bus nous a ramener à Yakutsk en soirée et nous y avons retrouvé un peu de réconfort pendant 5 jours avant de rentrer en France. Des images plein la tête ne peuvent que me donner envie d'y retourner.
Une expédition plus longue s'organise déjà pour l'été 2014...